Accueil > Marques & Agences > Comment les professionnels de la publicité envisagent l’usage de l’intelligence artificielle générative Comment les professionnels de la publicité envisagent l’usage de l’intelligence artificielle générative mind Media a interrogé lors des Cannes Lions 2023 différents acteurs de la création publicitaire et du marketing sur leur vision et les premières initiatives autour de l’intelligence artificielle générative : Fabrice Conrad (Havas Paris), Pascal Nassim (Marcel), Cécile Lejeune (VMLY&R), Pierre Calmard (Dentsu France), Pierric Duthoit (Meta), Vincent Legros (Teads) et Andrew Casale (Index Exchange). Tous appréhendent ces nouveaux outils comme des opportunités créatrices de valeur au service de l’idée et de la transformation des agences, mais beaucoup soulignent les défis à relever dans leurs organisations, la montée en compétence des équipes, le respect de la propriété intellectuelle et la sécurisation des données. Par Jean-Michel De Marchi avec Paul Roy. Publié le 24 juin 2023 à 14h31 - Mis à jour le 07 novembre 2024 à 17h06 Ressources De l’avis de tous les interlocuteurs interrogés par mind Media au sein des agences, l’Intelligence artificielle générative va transformer profondément le métier créatif. “Nous avons vu passer ces dernières années les vagues des mondes virtuels, de second life et plus récemment du Web3 et du métaverse, mais c’est la première fois qu’on voit une technologie s’installer aussi vite dans les usages, et de façon très certainement profonde et durable. L’intelligence artificielle générative est plus prometteuse pour la création, mais il y a beaucoup d’humilité à avoir”, souligne Pascal Nassim, co-président de Marcel (Publicis). Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Dans le marketing aussi, les promesses du contenu automatisé suscitent un intérêt. “Pour les stratégies de precision marketing, il manquait des créations adaptées au contexte média des articles. L’objectif est de personnaliser facilement l’expérience publicitaire en fonction du contenu. A la différence de la DCO, pour laquelle il faut encore tout produire, les nouvelles solutions qui apparaissent automatisent la production, très chronophage, au bénéfice de la création”, observe Vincent Legros, head of studio France et Belgique de Teads. La société technologique examine la génération automatique de formats natifs en bas du funnel marketing, dans lesquels il y a traditionnellement beaucoup de textes et dont la personnalisation est jusqu’à présent difficile à industrialiser. Pierric Duthoit, directeur business France de Meta, insiste également sur l’impact de ces nouvelles solutions de contenus automatisés pour les petites entreprises. “Ce sera un élément déterminant pour les sociétés qui n’ont pas la capacité de faire beaucoup de création publicitaire. Et c’est d’ailleurs un axe stratégique pour Meta dans la mesure où nous avons des centaines de millions d’entreprises connectées à nos plateformes, relève-t-il. Pour les grands comptes, deux problématiques sont centrales : comment ces dispositifs peuvent leur permettre de décupler leur puissance (déclinaison de format, adaptation des créations…), et comment utiliser l’IA générative dans l’interaction avec leurs clients.” John Cosley (Microsoft Advertising) : “Nous avons observé grâce à l’IA générative un taux de clic jusqu’à trois fois supérieur par rapport à une annonce de haut de page en search” Former les équipes dès maintenant Adobe Firefly, Chat-GPT, Dall-E, Midjourney, SlideAI, Hive, Deepl… les outils utilisés pour l’aide à la création et au marketing sont nombreux. S’ils s’améliorent de mois en mois, ils sont déjà performants et suscitent beaucoup d’enthousiasme en agence. Mais leurs dirigeants y voient aussi de nombreux enjeux auxquels le marché devra répondre. “Le champ des possibles est immense pour la publicité, à condition de placer l’idée créative au cœur des projets et de n’utiliser l’IA générative que ce pour quoi elle est faite : ce n’est qu’un outil de plus au service de l’expertise créative” Pascal Nessim (Marcel) La formation interne sera clé, abondent tous nos interlocuteurs. Havas Paris a donc souhaité faire un état des lieux du niveau de maturité de ses collaborateurs via un questionnaire il y a deux mois. Son résultat : un tiers de ses collaborateurs savaient ce qu’est l’IA générative mais sans avoir testé les outils existants, un tiers a déjà effectué des tests, et enfin un tiers en font déjà un usage régulier. “Nous recensons maintenant comment l’IA générative est utilisée, département par département. L’objectif est d’organiser progressivement la montée en compétence et l’usage en accompagnant les équipes, avec notamment une matinée entière mise en place pour décrypter les enjeux autour de l’IA, et le déploiement d’une formation en quatre modules, de l’initiation à l’expertise poussée”, explique auprès de mind Media Fabrice Conrad, directeur général d’Havas Paris. L’agence a créé une task force multi-disciplinaire qui se réunit tous les 15 jours pour évoquer la réglementation, les technologies, les formations, etc. L’enjeu de transversalité au niveau des groupes est réel pour partager informations, idées et projets. C’est ce qui a été initié au sein des agences du Village Havas mais aussi plus récemment à l’échelle du groupe Vivendi (Havas, Prisma Media, Canal+, Dailymotion, Editis…). Martin Sorrell (S4 Capital Group) : “L’intelligence artificielle générative va bouleverser les relations dans l’entreprise” Au sein de Marcel (Publicis), 100 % des équipes ont été formées à l’IA générative en huit mois et l’usage en interne est quotidien, pour la recherche d’informations et d’insights, la traduction ou encore la réalisation de synthèses, indique Pascal Nessim : “Nous avons une certaine expérience de l’lA au sein de Publicis avec notre outil interne, “Marcel”. On pourra aller encore plus loin pour l’aide à la création, il y a une vraie excitation. Le champ des possibles est immense pour la publicité, à condition de placer l’idée créative au cœur des projets et de n’utiliser l’IA générative que ce pour quoi elle est faite : ce n’est qu’un outil de plus au service de l’expertise créative.” De premières campagnes ces derniers mois La manière dont les outils seront utilisés sera déterminante. Des dispositifs recourant à l’intelligence artificielle générative ont été imaginés depuis fin 2022. Ogilvy Paris a ainsi utilisé la solution Dall-E 2 en septembre pour imaginer et réaliser de façon automatique une histoire autour du célèbre tableau La Laitière afin de promouvoir le yaourt du même nom de Nestlé. C’est sans doute le premier usage en date très médiatisé dans la communication en France. Comment Ogilvy Paris a utilisé l’intelligence artificielle générative pour créer en 24h une vidéo sur La laitière au service de Nestlé Plus récemment, Havas Paris a conçu une courte vidéo et une campagne nationale d’affichage le 8 mars réalisées pour l’association Jamais sans elles afin de dénoncer les biais de certains outils d’IA qui reproduisent les stéréotypes sur les hommes et les femmes parce qu’elles sont alimentées avec des données elles-mêmes issues de représentations sociales. Les illustrations ont été réalisées à partir de l’IA. Pour KFC, fin février, l’agence a également détourné le fonctionnement de l’outil MidJourney au sein d’un canal de la messagerie Discord que les utilisateurs utilisent : quelques dizaines de collaborateurs ont activé une commande unique pour faire produire et diffuser par MidJourney 10 000 visuels de tender, produit phare de la marque, saturant la discussion pendant 1h avec ces visuels très identifiés. D’autres campagnes sont en cours, notamment pour la galerie de photos YellowKorner. “Le droit d’auteur doit être respecté, d’un point de vue éthique et commercial” Cécile Lejeune (VMLY&R) Répondre à l’enjeu du droit d’auteur Mais au-delà de ces quelques campagnes, des limites opérationnelles importantes freinent le déploiement massif de l’IA dans la création et le marketing. “Les outils vont s’améliorer, se spécialiser et les agences vont gagner du temps, en particulier dans la production, mais on est encore loin d’une production totalement automatisée. Et puis des questions éthiques et réglementaires, et même environnementales, se posent”, constate Pascal Nessim (Marcel). Des discussions réglementaires débutent, au niveau industriel et entre les Etats, pour adopter un cadre légal au niveau régional voire mondial pour déterminer des règles communes sur la propriété intellectuelle autour de l’intelligence artificielle générative. Cela peut être long. Dans l’attente de règles juridiques sûres et claires, “le droit d’auteur doit être respecté, d’un point de vue éthique et commercial”, souligne Cécile Lejeune, CEO de l’agence VMLY&R (WPP), dont l’agence utilise pour l’instant les outils d’IA générative uniquement pour les maquettes présentées au client, pour illustrer les idées, pas pour la production des campagnes. WPP noue un partenariat avec Nvidia pour construire son propre moteur de contenus Beaucoup d’instruments d’intelligence artificielle s’appuient sur des contenus et des données d’apprentissage sans cadre légal ou sans cadre très clair. D’où une grande prudence à avoir pour les agences et leurs clients, en limitant les risques commerciaux et médiatiques dans leurs premiers dispositifs. Protéger la confidentialité des projets et sécuriser les données La deuxième limite entrevue tient à la sécurité des données. “Il faut avoir une attitude pragmatique : ces outils existent et seront utilisés. Il serait absurde de ne pas les utiliser. Mais pas n’importe comment. Notre direction monde a passé la consigne à l’échelle du groupe de veiller à ne pas nourrir ces outils et ceux qui les détiennent, ni ceux qui les utilisent, avec des informations stratégiques ou confidentielles”, prévient Pierre Calmard, président de Dentsu France. Tout ce qui est fourni à ces outils est en effet stocké et réutilisé. Il y a une forme de prudence à adopter au sein des agences et une sensibilisation forte à mettre en place auprès des équipes opérationnelles. “Nous travaillons sur des projets – des campagnes publicitaires – pour lesquels la discrétion et la confidentialité sont clé jusqu’à leur diffusion. Partager des données de travail sur nos campagnes et nos clients au sein d’outils tiers comporte un vrai risque, pour nous, pour nos clients et pour les campagnes”, rappelle Cécile Lejeune (VMLY&R / WPP). “Nous devrons être plus forts sur la valeur créative pour nous différencier. La qualité sera encore davantage mise en avant” Fabrice Conrad (Havas Paris) D’où l’intérêt également de disposer d’outils propriétaires et/ou de contractualiser avec des fournisseurs de contenus. WPP vient ainsi d’annoncer un partenariat technologique et commercial mondial avec l’entreprise Nvidia, spécialisée dans la fabrication de puces et la conception de contenus en 3D. L4objectif est de créer un moteur de création de contenus propriétaires, en s’appuyant également sur des accords de fourniture d’images et de vidéos avec Guetty Images et Adobe. Adobe, dont les logiciels sont très utilisés en agence, est d’ailleurs en train de compléter progressivement sa suite d’outils avec des solutions d’IA génératives – avec Adobe Firefly notamment – en prenant en charge les contrats de droit d’auteur. Jeff Katzin (Bain & Company) : “Seules les applications de l’IA générative qui permettent à l’entreprise de se différencier vaudront la peine d’être explorées” Une opportunité pour l’économie des agences ? L’enjeu de sécuriser rapidement à la fois la propriété intellectuelle et les données interne est essentiel car l’intelligence artificielle représente une opportunité pour remonter dans la chaîne de valeur, alors que l’économie des agences est souvent vacillante. En facilitant l’opérationnel, les agences, espèrent leurs dirigeants, auront plus de temps et d’énergie pour se concentrer sur l’idée et le conseil. “Que ce soit pour le média ou la création, l’intelligence artificielle générative peut assister les équipes, faire gagner du temps et libérer de l’énergie pour d’autres tâches à plus forte valeur ajoutée. Elle va permettre aux agences de gagner en productivité”, veut croire Pierre Calmard (Dentsu France). Mais quand ces outils seront assimilés et devenus une commodité, quelle expertise mettre en avant ? Comment retrouver un avantage compétitif ? “Nous devrons être plus forts sur la valeur créative pour nous différencier. La qualité sera encore davantage mise en avant”, veut croire Fabrice Conrad (Havas Paris). Vincent Legros (Teads) appuie cet argument par les résultats offerts par l’IA, du moins sur la performance mesurable, et la nécessité d’en faire des atouts commerciaux : “Dans les tests effectués, les créations effectuées par l’IA génèrent plus de clics que les créations traditionnelles fournies par les clients, il y a donc un vrai potentiel pour la création intégrale d’images mais aussi de vidéos. Ces nouveaux outils nous intéressent mais il faut se les approprier et en dégager de la valeur : nous cherchons comment proposer des solutions propriétaires à nos clients et voulons les accompagner par des workshops.” Cécile Lejeune (VMLY&R) : “Les agences vont devoir modifier leur business model” L’intelligence artificielle générative pourrait modifier le business model des agences. “Aujourd’hui, les agences facturent leur travail au temps passé, il faudra changer et faire payer nos clients sur la force du conseil. Il va falloir réfléchir tous ensemble à commencer à transformer notre modèle et à l’appliquer avec les marques”, estime Cécile Lejeune (VMLY&R). L’évolution est souhaitée depuis plusieurs années par les agences, mais tarde à devenir la norme. Les marques seront-elles cette fois plus réceptives ? Dans la publicité programmatique aussi Andrew Casale, CEO d’Index Exchange, interrogé par mind Media, estime qu’au-delà des applications opérationnelles liées à l’activité commerciale, l’IA générative offre aux acteurs du programmatique l’occasion de s’améliorer “dans une optique purement technologique et programmatique. Nous explorons actuellement l’IA générative pour accélérer le processus de l’enregistrement des bids, par exemple. Aujourd’hui, chaque nouvelle création diffusée sur l’open auction est examinée par un humain et taxonomisée, ce qui est chronophage et crée un délai entre l’arrivée de l’offre et la possibilité de l’emporter. L’IA générative pourra accélérer le processus, qui sera toujours piloté par des humains. Par ailleurs, au fur et à mesure que les contenus éditoriaux générés par les IA se multiplieront, il deviendra assez courant que certains spécialistes du marketing orientent leurs investissements en fonction du fait que le contenu ait ou non été créé par des êtres humains. Les discussions sur le marché et au sein de l’IAB Tech Lab laissent penser qu’il faudra créer un nouveau signal dans le protocole RTB pour signaler les contenus créés par des humains.” Jean-Michel De Marchi avec Paul Roy Agences créativesCannes LionsIA générativeIntelligence artificielleModèles économiquesOrganisationTransformation marketingTransformation numérique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretiens Cécile Lejeune (VMLY&R) : Intelligence artificielle générative : "Les agences vont devoir modifier leur business model" Entretiens Martin Sorrell (S4 Capital Group) : “L’intelligence artificielle générative va bouleverser les relations dans l’entreprise” Analyses Entretiens Jeff Katzin (Bain & Company) : Intelligence artificielle générative : “Seules les applications qui permettent à l'entreprise de se différencier vaudront la peine d'être explorées” Analyses Entretiens John Cosley (Microsoft Advertising) : “Nous voulons innover pour les consommateurs, les annonceurs et les éditeurs" Omnicom s’associe à Amazon dans l’IA générative Brandtech Group acquiert Pencil Analyses Entretiens Pierre Calmard (Dentsu France) : "Les directions des achats chez l'annonceur ont souvent trop de poids au détriment des directions marketing" Carrefour déploie des outils d’intelligence artificielle générative dans ses activités commerciales Publicis intègre la C2PA pour identifier les contenus produits par IA IA générative : WPP signe un partenariat avec NVIDIA sur la création de contenus publicitaires Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? Le New York Times affiche toujours une croissance très robuste portée par le numérique data Les baromètres, panoramas et chiffres sur l'évolution du marché Le classement des éditeurs français qui ont le plus d'abonnés purs numériques Les données récoltées par les acteurs de la publicité en ligne La liste des sociétés présentes dans les fichiers ads.txt des éditeurs français Les gains de budget des agences médias Opt-out : quels éditeurs français interdisent les robots crawlers de l'IA générative ? Le panorama des sociétés spécialisées dans les technologies de l’e-retail media La liste des outils utilisés par les équipes éditoriales, marketing et techniques des éditeurs français Le détail des aides à la presse, année par année La liste des CMP choisies par les principaux médias en France Digital Ad Trust : quels sites ont été labellisés, pour quelles vagues et sur quel périmètre ?