Accueil > Marques & Agences > Réduction carbone : les agences médias tâtonnent encore vis-à-vis de leurs partenaires adtechs Réduction carbone : les agences médias tâtonnent encore vis-à-vis de leurs partenaires adtechs L'activation média impliquant les technologies publicitaires en ligne compte parmi les activités marketing les plus émettrices de carbone. Engagés dans un mouvement plus écologique, les acheteurs médias commencent timidement à questionner la consommation énergétique de l'adtech, sans perdre de vue l'objectif prioritaire des marques : l'efficacité publicitaire et le coût des campagnes. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 23 septembre 2022 à 16h30 - Mis à jour le 19 juillet 2023 à 19h37 Ressources La plupart des émissions de gaz des agences médias proviennent des activités de leurs partenaires technologiques sollicités lors des campagnes activées. Pourtant, là où éditeurs, régies et agences se positionnent et amorcent des initiatives en vue de mesurer et décarboner leurs pratiques, les adtechs se montrent plus discrètes. Les points clés Marques et agences n’imposent pas encore d’exigences écologiques fortes aux adtechs, mais la donne va changer à mesure de la maturité croissance du marché. Les agences médias vont progressivement passer d’une approche empirique à une approche industrielle pour la réduction carbone de la chaîne marketing technologique. S’il est trop tôt pour l’évaluer économiquement, la transition écologique de l’adtech entraînera un surcoût pour l’achat média. Sa prise en charge pourrait tendre les relations entre les acteurs du marketing. Sauf s’il est démontré que la réduction carbone crée un incrément d’efficacité publicitaire et permet d’optimiser les allocations budgétaires ou les résultats des campagnes. “Il ne faut pas se le cacher, tout le monde à conscience de l’enjeu mais ce n’est pas encore une priorité pour nos activités. Le sujet est très complexe et le contexte économique actuel est incertain : les sociétés technologiques ont d’autres priorités actuellement, comme l’optimisation financière de leur second semestre ou tout le travail à faire autour de la data pour poursuivre un ciblage efficace, les alternatives aux cookies, etc.”, nous confie un dirigeant français de l’adtech. Pas encore de pression sur les adtechs Les agences ont annoncé des objectifs, amorcé des initiatives pour décarboner l’achat média, mais à leur niveau elles restent encore parcellaires et éparses. “Nous voulons avoir une vision complète de nos activités médias et des émissions carbone sur toute la filière marketing. On parle moins de la partie adtech pour l’instant, c’est vrai, car le chiffrage carbone des médias est plus simple, mais c’est un enjeu clé et on y viendra progressivement”, prévient Mathieu Morgensztern, CEO de GroupM France et country manager de WPP France. Il se place dans la droite ligne des autres dirigeants d’agences. Les grands réseaux de communication se sont tous fixés des objectifs de réduction carbone sur leur scope 1 et 2 d’ici 2025 au maximum et d’ici 2030 sur leur scope 3, par exemple 50 % de carbone en moins sur ce dernier point chez WPP*. Cela implique d’agir sur les activités adtechs, et la publicité programmatique en particulier. Quelques annonceurs, les plus matures, posent parfois des questions à leurs agences, et s’interrogent sur la consommation carbone de la chaîne marketing technologique. Nos différents interlocuteurs citent ici Renault, La Poste, Orange ou encore BNP Paribas. “Certains annonceurs testent déjà, certes à petite échelle, des activations médias plus chères, mais moins émettrices de carbone”, affirme Anne-Servane Lasserre, managing director de StudioM et sustainability lead au sein de GroupM France. Une approche encore empirique Les initiatives restent cependant approximatives et artisanales. Réunions dédiées, conférences et tables rondes, tests sur des campagnes… Les agences évoquent d’abord un travail d’accompagnement et de sensibilisation à faire sur leurs clients. Plusieurs niveaux d’action sont entrevus. “La priorité immédiate porte sur la mesure pour déterminer de quoi on parle et comment on peut agir. Il y a de plus en plus d’outils, mais pas encore de démarche harmonisée et consolidée, via l’UDM ou l’Udecam par exemple, ce qui constituerait une étape importante pour aller plus loin sur la chaîne marketing”, souligne Sylvain Deffay, directeur clientèle et data à OMD France (Omnicom Media Group). L’Udecam construit un outil commun de mesure de l’impact environnemental des campagnes Les agences peuvent être proactives sur la décarbonation de l’adtech. D’abord avec des méthodes de réduction empiriques, presque au cas par cas pour chaque campagne. “On peut diminuer le poids et le nombre de créations diffusées, optimiser le format selon le terminal utilisé, ou encore prioriser le ciblage sur wifi, moins lourd que sur la 3G, 4G ou 5G. Les jours de la semaine et l’heure de diffusion de la campagne influent aussi sur l’émission carbone totale”, ajoute Anne-Servane, chez GroupM, qui a chiffré jusqu’à 60 % les rejets d’émission carbone en moins pour une campagne optimisée sur ce critère. Intégrer la transition dans l’économie du secteur Pour tendre vers une efficacité notable, il faudra inévitablement enclencher une réduction industrielle des émissions carbone de l’adtech via des choix plus ambitieux de la part des agences et des critères d’achat plus stricts. Sur ce point, la question de la mesure de l’émission carbone spécifique à l’adtech, qu’il reste à résoudre, sera clé. Mais la question financière de ces bouleversements l’est tout autant. La réduction carbone sera-t-elle considérée comme une commodité, un pré-requis dans l’achat média, ou alors comme un service supplémentaire, générant un surcoût comme cela se pratique pour certains frais techniques supplémentaires ? C’est tout l’enjeu des mois à venir. Car oui, la transition carbone de l’adtech aura un coût financier et la chaîne publicitaire aura des difficultés à l’absorber, que ce soient les régies, les agences ou les adtechs, admettent en creux nos interlocuteurs. D’abord du fait du temps et des ressources (plusieurs personnes dédiées par agence) mobilisés pour ce nouvel enjeu ; ce qui se matérialise notamment dans les calculettes carbone proposées depuis deux ans par les agences – et les régies. Au-delà de ces ressources nouvelles à déployer, le coût du média sera un enjeu majeur, et une source potentielle de crispations importantes entre marques, agences, adtechs et régies. L’ensemble des acteurs sollicités, aussi bien que les régies publicitaires et les adtechs, se rejoignent pour considérer que les annonceurs devront intégrer ce nouvel élément dans leurs budgets de campagne. Le feront-ils, alors qu’ils ont plutôt tendance ces dernières années à tirer les budgets marketing à la baisse ou à solliciter davantage de productivité de la part de leurs partenaires marketing ? L’argument de l’efficacité économique de la transition écologique du marketing pourrait permettre de les convaincre. La décarbonation peut être source d’économies, “par exemple via une réduction des coûts techniques, un meilleur ciblage des audiences et un meilleur choix des intermédiaires retenus”, explique Sylvain Deffay (Omnicom Media Group). Encore faut-il être en mesure de le prouver ; c’est une prochaine étape de la transition. 5 leviers activables par les sociétés adtechs pour réduire leur impact carbone Concilier réduction carbone de l’adtech et performance publicitaire La performance média restera le critère de décision numéro un pour les marques. “Mais une campagne plus verte n’est pas nécessairement plus chère”, souligne Anne-Servane Lasserre (GroupM France). Par exemple une campagne vidéo ciblée sur le wifi plutôt que sur la 4G permet à la fois un impact carbone moindre et un meilleur taux de complétion car le wifi est plus stable. Il y a beaucoup de leviers comme celui-ci que l’on peut actionner en optimisant l’efficacité globale.” Havas, notamment, travaille en ce sens et tente de structurer ses offres. “Il y a besoin d’une vision et d’initiatives”, abonde Marc Freschi (Havas Media Group). Via un partenariat avec la société Lumen, spécialisée dans la mesure de l’attention, le groupe travaille depuis le printemps sur la mise en place d’un nouveau KPI : le coût carbone par seconde d’attention, en croisant des données d’attention réelle – et non plus de visibilité – avec des données liées à l’empreinte carbone. “L’essentiel de notre empreinte carbone est constituée d’impressions non visibles ou inefficaces. La transition écologique de notre secteur est aussi une opportunité pour revaloriser les bonnes pratiques publicitaires”, observe Marc Freschi (Havas Media Group). Sur ce sujet, la SPO, pour Supply path optimization, c’est-à-dire la rationalisation des intermédiaires sur la chaîne partenaire technologique, est régulièrement mise en avant par les agences comme la méthode la plus efficace. Ce travail en continu, de longue haleine, peut se matérialiser par un travail de curation des éditeurs médias retenus et d’exclusion de certaines adtechs jugées inopportunes, pour in fine optimiser les campagnes et le budget média investi par la marque. Mais il peut y avoir autant d’offres programmatiques moins carbonées que de clients, et même que de campagnes. La volonté exprimée par les agences est d’abord d’informer, et de donner des solutions et des opportunités de faire des campagnes moins carbonées. Au-delà de ces premières orientations, les agences assurent vouloir engager ces prochains mois davantage de discussions avec les adtechs, avant d’inclure progressivement dans leurs critères de sélection des considérations énergétiques. Un travail avec l’interprofession permettra d’uniformiser et d’accélérer les pratiques. Alliance Digital prépare notamment un guide de l’achat média numérique plus responsable. Arthur Millet (Alliance Digitale) : “Il y a un fort enjeu à démontrer que la sobriété énergétique permet d’obtenir la même efficacité publicitaire” La décarbonation est un sujet encore émergent dans l’industrie publicitaire et c’est encore plus vrai dans l’adtech. Mais les acheteurs, une fois en ordre de marche, auront nécessairement des exigences fortes vis-à-vis des intermédiaires technologiques, qui vont devoir se mettre en ordre de marche. Ces exigences seront-elles aussi fortes vis-à-vis de la poignée de grandes plateformes qui dominent l’industrie, qui agissent certes de leur côté pour réduire leurs émissions, mais qui évoluent souvent en dehors du cadre collectif et s’exemptent de contrôles extérieurs, à commencer par Google et Meta ? C’est l’une des craintes exprimées par différents acteurs. *Mise à jour mercredi 28 septembre à 12h45 : L’objectif de réduction carbone sur le scope 3 de GroupM est de 50 % et non pas 30 % comme mentionné dans une première version de l’article. Jean-Michel De Marchi Achat programmatiqueAdtechDmexcoMesure carbonePublicité programmatiqueRelations agences-annonceursRSETransition écologique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Analyses Dossiers 5 leviers activables par les sociétés adtechs pour réduire leur impact carbone Analyses Entretiens Arthur Millet (Alliance Digitale) : "Il y a un fort enjeu à démontrer que la sobriété énergétique permet d’obtenir la même efficacité publicitaire” Analyses Etudes de cas Comment Realytics veut calculer l'empreinte carbone de l’achat publicitaire en télévision Teads veut permettre aux annonceurs de planifier leurs campagnes en fonction de l’attention Une campagne publicitaire en ligne émet en moyenne 5,4 tonnes de CO2 L’UDM prépare un référentiel unique pour l’impact carbone des campagnes Radio France fait de la transition écologique une priorité éditoriale GroupM publie un framework de la mesure carbone Analyses Les contrats climat peuvent-ils aider le marché publicitaire à accélérer sa transition écologique ? 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Le compte-rendu de notre conférence Agency Futures 2022 Tribunes gratuit "Pour agir efficacement en faveur de l'environnement, l'industrie publicitaire doit actionner deux éléments essentiels : la mesure et la coordination" essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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