[Info mind Media] IA générative : premiers accords technologiques entre Microsoft et des médias français  

Il est toujours très difficile pour les éditeurs médias de se passer des grandes plateformes pour le développement de leurs activités numériques. L’intelligence artificielle générative en est une nouvelle illustration. Malgré les conflits persistants autour des droits voisins, avec Microsoft comme avec d’autres grands acteurs technologiques qui refusent d’appliquer la loi votée en 2019, différents éditeurs français se sont associés avec le groupe pour amorcer leurs tests liés à l’automatisation de contenus et fonctionnalités éditoriales. 

Selon nos informations, Le Monde et Ouest-France sont les premiers groupes médias français appuyés par Microsoft en France. Le groupe a des relations étroites avec eux depuis plusieurs années. Les accords – qui n’ont pas de caractère exclusif – ont déjà été mis en place. Il s’agit pour eux de bénéficier d’un cadre technique sécurisé, sans avoir besoin d’utiliser d’API et d’outil en SaaS, afin de déployer leurs premières expérimentations liées à l’intelligence artificielle générative. En utilisant notamment des bases de données vectorielles. Ces accords sont les premiers conclus entre des éditeurs médias français et un fournisseur de technologies d’intelligence artificielle générative. 

Des serveurs dédiés 

Concrètement, Microsoft a accepté de leur mettre à disposition, via sa suite cloud Azure, des serveurs dédiés, localisés en France, afin que les contenus propriétaires utilisés par les éditeurs médias pour tester les outils d’intelligence artificielle ne nourrissent pas les gigantesques bases de données de la plateforme, ni celles de son partenaire OpenAI. La version payante de ses outils, en particulier ChatGPT-4, est particulièrement utilisée pour ces tests, mais elle ne sera pas la seule. Ouest-France se penche par exemple aussi sur les outils Mistral (de Mistral AI) et le modèle Llama2 (de Meta).

Ces serveurs dédiés sont également essentiels pour s’assurer de la fiabilité des informations et données utilisées lors des tests – et donc des résultats générés – et se prémunir juridiquement en n’utilisant pas des données externes protégées par le droit d’auteur. C’est d’autant plus crucial pour les médias d’informations qui veulent âprement négocier les conditions financières de l’usage de leurs contenus par Microsoft, OpenAI, Google et tous les autres acteurs qui s’en servent pour entraîner leurs modèles algorithmiques et fournir les réponses aux requêtes utilisateurs.

Contactés par mind Media, les dirigeants de Microsoft en France n’ont pas souhaité apporter de précisions, sans démentir nos informations. Ceux du Monde et de Ouest-France non plus. Ce sont a priori des accords uniquement d’ordre technologique. Ils n’incluent pas une rémunération des deux éditeurs. 

L’amorce de nouvelles expérimentations 

Beaucoup de groupes médias utilisent déjà l’IA générative : outil de text-to-speech, retranscription audio en speech-to-text, traduction d’articles… C’est aussi le cas du Monde, qui veut maintenant aller plus loin. mind Media révélait en janvier l’instauration d’une charte dédiée au sein du titre. Le journal travaille sur l’IA générative via une petite équipe : des réflexions et expérimentations à petite échelle ont lieu par exemple pour l’aide à la documentation interne et au motion design. Le Monde réfléchit également à des usages possibles autour de la transformation de dépêches. 

Pour Ouest-France, où les tests autour de l’IA générative s’inscrivent dans une initiative du groupe SIPA-Ouest-France, l’organisation est au contraire très décentralisée. Un appel à projets a été lancé auprès des journalistes et salariés. Quelques dizaines de projets seront sélectionnés pour être testés tout au long de l’année 2024. Ils seront accompagnés et encadrés par un référent éditorial. La direction du journal a déjà effectué plusieurs expérimentations et d’autres sont prévues : suggestion de tags dans le CMS, synthèse et génération des “points à retenir” d’un article, aide à la modération des commentaires, infographies, réutilisation de données, recommandation de liens d’articles insérée au sein de l’article lu par l’internaute…

A chaque fois, pour Le Monde et Ouest-France, une gestion et une surveillance humaine des expérimentations sont prévues en amont et en aval, par un journaliste.

Une stratégie mondiale pour Microsoft 

Ces collaborations n’empêchent pas les éditeurs de défendre leurs revendications liées aux droits voisins, qui sont dans l’impasse avec Microsoft depuis plusieurs années. Dans l’immédiat, les accords noués avec le groupe sont purement techniques et concernent un nombre très limité de médias en France. Les groupes Figaro et EBRA, par exemple, n’en font pas partie. 

Ce type d’accord devrait néanmoins se multiplier tant la puissance technologique des GAFAM et des plateformes spécialisées dans l’IA est importante et indispensable aux grands projets techniques des éditeurs. Si elles se concrétisent, EBRA devrait d’ailleurs pouvoir bénéficier des négociations qui, selon nos informations, sont en cours entre Microsoft et sa maison mère, le Crédit Mutuel, pour un partenariat technologique global.

Ces accords avec les médias sont en partie pilotés en France par la direction de Microsoft Azure, son activité cloud. Mais il s’inscrivent dans la vaste offensive que mène l’entreprise depuis l’été 2023 en direction des médias, en créant et soutenant différents programmes. Pour superviser ses efforts, le groupe américain a recruté en septembre dernier Noreen Gillespie comme Journalism director. Elle était jusque-là global business editor de l’agence AP, où elle a travaillé pendant plus de 20 ans. 

Le groupe a par exemple annoncé son soutien au programme Journalism Trust Initiative (JTI) de RSF. Le dispositif de l’association est destiné à certifier l’information de confiance à l’échelle internationale – à ce jour, EBRA, France Télévisions, France Médias Monde et TF1 sont labélisés. Ce dispositif a reçu le soutien de la Commission européenne et Microsoft a annoncé vouloir l’intégrer dans ses algorithmes liés à l’information. 

Le 5 février dernier, Microsoft est allé plus loin en annonçant aux Etats-Unis plusieurs formes de collaborations visant à aider des médias et des écoles de journalisme partenaires à utiliser l’intelligence artificielle générative, au sein des rédactions et des équipes commerciales, en fournissant des formations, des ressources et un accès à des technologies. “En travaillant directement avec les rédactions, les universités, les journalistes et les groupes industriels, nous aiderons ces organisations à utiliser l’IA pour accroître leur audience, rationaliser les tâches chronophages dans la rédaction et mettre en place des opérations commerciales durables”, a expliqué Noreen Gillespie.

L’outil “Signals”, mis en place sur le site américain Semafor, est la première concrétisation de ces partenariats. S’appuyant sur la technologie de Microsoft et sur OpenAI, il détecte d’autres articles et sources – en différentes langues – en rapport avec l’article rédigé par ses journalistes, et en propose des résumés automatiques qui sont alors ajoutés sous ses articles.

Google et Meta en retrait

Microsoft a un temps d’avance sur Google et Meta dans l’IA générative. Cela vaut presque aussi, désormais, pour l’implication affichée dans l’information et l’écosystème média, où l’association Microsoft Azure-OpenAI devance, pour l’instant du moins, l’infrastructure Google Cloud-Gemini auprès des médias. 

Interrogé par mind Media sur ses projets liés à l’IA générative pour l’information, Meta indique ne pas en avoir. De son côté, Google n’a pas répondu à nos sollicitations. En juillet 2023, la presse américaine avait indiqué que le groupe a présenté à une poignée de grands éditeurs locaux (le Washington Post, News Corp, le New York Times) un outil d’IA générative spécialisée dans l’information et baptisé “Genesis”. Il a été conçu comme un assistant personnel pour les journalistes, automatisant certaines tâches (aide à la titraille, au style d’écriture…) afin de leur libérer du temps. Le projet a été critiqué et Google ne communique plus depuis.

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