Chine : Le triomphe du New Retail

Passionnant et angoissant, le « new retail » est partout à Shanghai. En marge de la conférence du CIRIS, GRN a eu la chance d’être accueilli par deux Vice-Présidents d’Alibaba au siège de Hangzhou et de rencontrer des enseignes bien établies en Chine. Comment ce « new retail » s’infuse-t-il parmi les retailers traditionnels ? Et que viennent faire ces géants technologiques dans la distribution traditionnelle ? Décryptage
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Les acteurs du « New Retail » en Chine, ce sont d’abord deux géants : Alibaba son rival Tencent. A eux deux, ils contrôlent 75 % du marché total de l’e-commerce en Chine (et 86 % si l’on regarde uniquement le B2C) et restent inégalés en Occident. Y a-t-il plus rapide qu’un Alibaba ou un Tencent pour multiplier les alliances et partenariats ? Face à cette agilité chinoise, il est frappant de voir à quel point les Facebook, Amazon et Google ont raté quelque chose. « Il faudrait un mélange d’Amazon et de Facebook pour créer un écosystème identique, et encore… », lance Marcos Gouvea de Souza, en marge du CIRIS. Si ces deux sociétés multiplient les investissements chez les « retailers » (Alibaba a racheté Hema, est entré au capital d’Auchan, de Suning (le Darty chinois), des grands magasins Intime Retail, son rival Tencent, a investi dans Carrefour, 7Fresh, Wanda, etc.), elles se voient de plus en plus comme des prestataires de services pour les retailers. L’idée est la suivante : « Je vous loue une technologie, l’enseigne m’achète une prestation ». Dans un hypermarché Auchan à Shanghai par exemple, on retrouve exactement le même système de rails que chez Hema dédié à la préparation des commandes. Ce système représente un investissement de € 1,5 million et est rentable à partir de 2.00 commandes / jour.

En termes de service-client, la Chine a une longueur d’avance. Ou ailleurs peut-on payer avec son visage, sans carte bancaire, espèces ni smartphone ? Ou ailleurs peut-on se faire livrer un café en 30 minutes (voir Luckin Coffee, GRN d’avril 2019) ? Tout se livre, partout. « Les enseignes chinoises arrivent vraiment à mettre le client en tête, avant même la qualité du produit, explique Jacques Creyssel en marge de la conférence du CIRIS. Le service y est vraiment très développé ». Des enseignes comme Hema, désormais en phase de déploiement avec 300 mags., ont atteint une qualité de l’offre excellente (pour garder un maximum de fraîcheur, Hema fait varier les prix des produits frais pendant la journée selon le stock, on peut y faire cuisiner son poisson vivant), mais va plus loin avec deux services supplémentaires : la livraison quasi-instantanée (30 min) et un large éventail de moyens de paiement, notamment avec la généralisation du paiement par reconnaissance faciale.  

La force des acteurs du New Retail réside aussi dans la data. Au siège d’Alibaba, le ton est donné dès le début. « Amazon est pro-consommateurs, nous sommes pro business, résume Jet Jing, VP d’Alibaba et Président de Tmall. Notre modèle de revenus est un modèle de services, pas un modèle de distribution ». Le métier de « retailer » ne semble pas les intéresser en tant que tel mais comme faisant partie d’un tout plus grand, qui inclue le paiement, le tourisme, le « cloud » et la mobilité urbaine. Dans la présentation d’Alibaba, les activités « retail » sont d’ailleurs rangées dans la case logistique. « Alibaba et JD se présentent d’abord comme des entreprises de services d’où une expansion vers toujours plus de secteurs, poursuit Jacques Creyssel. En contrôlant tous les points de contact avec le client, ils développent un véritable écosystème dans lequel la stratégie globale est de capturer la totalité des données ». Car oui, ces acteurs chinois ont tué Trujillo. « Depuis des décennies, les retailers ont raisonné « emplacement, emplacement, emplacement », poursuit Jet Ning. Mais maintenant que vous avez les datas, vous pouvez prendre des décisions bien plus pertinentes qu’il y a 5 ans, lorsque vous aviez ouvert ce magasin à Chengdu ou à Madrid. Depuis, le profil de vos clients a changé de façon plus ou moins radicale. Vos datas doivent être utilisées pour savoir précisément qui y achète et optimiser la totalité de vos opérations (gamme, planogrammes, merchandising, services, etc.). Par exemple, vous pouvez savoir combien de transactions viennent de clients très fidèles ? Combien viennent de consommateurs qui ne sont jamais venus depuis 6 mois ? Et combien un nouveau magasin a permis de recruter de nouveaux clients? » 

Ce « new retail » s’accompagne aussi d’une rapidité d’exécution phénoménale, comme l’explique Thierry Garnier, Président de Carrefour-Chine. En trois mois, Carrefour a signé un accord avec l’enseigne d’électro-ménager Gome pour installer des « corners » dédiés dans ses grandes surfaces. Après avoir réalisé un test (concluant) dans six magasins, les 215 magasins Carrefour en Chine ont été reconfigurés en seulement trois mois ! En deux mois, la reconnaissance faciale a été déployée dans la totalité du parc de Carrefour. « Il y a quatre ans, je suis rentré à Paris pour des vacances, raconte le cadre d’une enseigne spécialisée. Quand je suis revenu, ils avaient déployé WeChat Pays dans tout le métro shanghaien. En France, on serait passés par un POC puis un test, pour arriver à un déploiement 4 ans après. Là, c’est arrivé d’un coup ». 

Pour tous les « retailers » présents en Chine, la course à l’automatisation est lancée avec une vision « Unmanned » (sans hommes) quelque peu effrayante…mais clairement assumée. Chez Tencent, la robotisation des entrepôts, la livraison par drones se développent beaucoup, le groupe allant vers des systèmes ayant de moins en moins d’effectifs. Dans le quartier de Kunshan (Shanghai), le nouvel entrepôt JD peut préparer 200.000 commandes / jour mais ne compte que 4 employés. Chez Hema / Auchan, le « ship-from-store » s’impose avec un système de « picking par rayon » (ou picking zoné) directement dans le stock du magasin associé au système de rails au plafond pour un envoi ultra rapide vers la réserve. La commande est ensuite livrée en 2 roues dans la ½ heure dans un rayon de 3 km. Selon un porte-parole de JD.com, « Nous voulons réduire les coûts de livraison qui pèsent aujourd’hui 73 % des coûts opérationnels pour une enseigne physique. Il faut que les stocks magasins deviennent des inventaires, toujours plus près du consommateur ». JD va ouvrir un million de magasins de proximité complètement automatisés en franchise, dont 500.000 en zones rurales. Son but est de « raccourcir les circuits de livraison grâce à ces lieux d’entreposage intermédiaires ». Dans cette mouvance, les magasins de type « box automatisées » sont passés en phase de déploiement. Dans l’alimentaire, il y a les Auchan Box et Bingo Box (supérettes de 20 m2 environ) qui marchent très bien près des universités et des bureaux. La Chine manquant cruellement d’espaces pour faire du sport, il y a aussi Park Box, des containers / salles de sports automatisées où l’on peut courir sur un tapis, faire du rameur ou du vélo pour 39 Yuans / heure. 

Le « new retail » est tellement structurant qu’il génère l’apparition de nouveaux métiers. Il y a d’abord les Tmall Partners, qui aident les « retailers » à exister sur les grandes places de marché, en travaillant la qualité du référencement, du merchandising, du marketing, etc. En 2015, un groupe comme Full Jet comptait 4 personnes. Ils sont désormais 90. En termes de traitement des données, la Chine dessine aussi une nouvelle étape. « Maintenant que l’intégration omnicanale a eu lieu – certains de nos clients font 80 % de leur CA en ligne – on entre dans une phase de dédoublonnage des datas, explique Jean-Baptiste Le Blan, Directeur de Splio en Chine. Les marques de mode sont souvent distribuées sur 5 à 10 plateformes web (JD, Tmall, Vip, Secoo, etc.) et l’enjeu pour elles, c’est d’éviter d’avoir des datas e-commerce cloisonnées (chez JD d’un côté, Tmall de l’autre, VIP d’un autre côté…). Elles veulent casser les silots au sein du canal en ligne et être capables d’agréger toutes leurs datas e-commerce pour pouvoir les traiter de façon unifiée. ». 

Et après

Pour Alibaba, le « new retail » impose aussi un élément majeur: le passage au « new manufacturing » ou « C2B ». Il s’agit de « transformer la « supply chain » en une chaîne de la demande, conclut Jet Jing. Celle-ci sera pilotée et nourrie par les datas, la demande des clients et les tendances observées. Qu’est-ce que ça veut dire pour un retailer ? Il faut se demander quels types de produits je dois fabriquer dans quelles catégories, sur la base de cette demande ? Et comment est-ce que j’alloue les ressources de production selon cette demande ». Un bouleversement bien identifié par un acteur comme Red. Bonne immersion chinoise !.

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