Le nouvel enjeu des données de vie réelle Les données de vie réelle représentent aujourd’hui une nouvelle manne qui intéresse l’ensemble des acteurs de santé. La crise sanitaire a boosté l’usage de la télémédecine et par conséquent le recueil de ces données “en vraie vie”. Leur marché mondial représente pour l’année 2021 1,2 Md $. Les enjeux sont tout aussi variés qu’essentiels : optimiser la recherche, améliorer le parcours de soins, mieux cibler les traitements efficaces (médicalement et économiquement)... Mais cette masse de données nouvellement disponibles requiert obligations réglementaires et nouvelles technologiques d’analyse et traitement. Quelles sont-elles ? Qui sont les acteurs à suivre et quels sont les chiffres à connaître ? mind Health vous apporte toutes les ressources indispensables pour maîtriser ce nouvel enjeu. Par Camille Boivigny. Publié le 26 avril 2022 à 23h47 - Mis à jour le 03 janvier 2023 à 15h14 Synthèse Le contexte Les “données de vie réelle” ou de “vraie vie” sont des données qui n’interviennent pas sur la prise en charge des patients et ne sont pas collectées dans un cadre expérimental hospitalier, mais générées et collectées lors de soins réalisés en routine ou via des objets connectés. Elles reflètent donc, a priori, la pratique courante. La valeur ajoutée des données de santé de vie réelle a été récemment découverte. Leur exploitation permet de faire émerger de nouvelles connaissances, accroissant les possibilités de suivi de l’usage et de l’efficacité des produits de santé tout en révolutionnant la recherche. Elles sont à distinguer des données cliniques permettant d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). En effet, les autorités réglementaires comptent de plus en plus de demandes de données de vie réelle, post-AMM donc. Il existe différents producteurs de ces données spécifiques : les laboratoires pharmaceutiques, les CRO, les médecins et les patients (via entre autres les objets connectés). Les industriels initient des études spécifiques et s’appuient sur les grandes bases de données existantes, comme le Système national des données de santé (SNDS), pour notamment mener des études médico-économiques. Les sources de ces données spécifiques sont donc tout aussi diverses (dossiers patients, applications mobiles, solutions connectées, réseaux sociaux) que leurs analyses et traitements via les agrégateurs de données comme le Health Data Hub par exemple, ou les entrepôts de données, hospitaliers ou non. Les enjeux Élaborer un modèle économique de la donnée de vie réelle L’enjeu réside dans l’élaboration d’un modèle économique à définir autour de la donnée de vie réelle. L’accès, l’analyse et le traitement de ce type de données sont essentiels pour le secteur, puisqu’elles permettent d’optimiser les parcours de soins, d’engranger de nouvelles connaissances pour la recherche, de mieux cibler les traitements et les patients. Combinées aux données médico-économiques du SNDS, elles peuvent permettre d’améliorer l’évaluation du prix des produits de santé ou leur réévaluation. Améliorer leur accès Mais leur accès requiert de respecter nombre d’obligations réglementaires qui encadrent leur collecte, traitement et stockage. En plus du RGPD, plusieurs textes s’appliquent comme la version adaptée de la loi Informatique et libertés, le décret définissant en 2018 la procédure de certification des hébergeurs de données de santé (HDS), les décrets remplaçant le NIR par l’INS et ceux relatifs aux droits des patients, notamment leur consentement pour la réutilisation de leurs données. Assurer leur (cyber) sécurité Une attention particulière est à porter à leur sécurité (cyber ou non), à l’aide des référentiels de sécurité et d’interopérabilité émis par les autorités sanitaires et les méthodologies de recherche de la Commission nationale de l’informatique et libertés (Cnil). Les outils de traitement et espaces de stockage (entrepôt, bases de données, bulle cloud etc.) de ces données spécifiques de santé demeurent perfectibles de par leur hétérogénéité et manque d’interopérabilité. RÉGLEMENTAIRE Au niveau national En France, l’Alliance française des données de vie réelle a vu le jour mi-juillet 2021. La Cnil a proposé en septembre 2021 une auto-évaluation de maturité en gestion de la protection des données, incluant les données de vie réelle. Après avoir publié un guide méthodologique sur le sujet, la HAS s’est dotée dès novembre 2021 d’une cellule à ce sujet. Tout récemment, la proposition de loi adoptée en première lecture au Sénat entend faciliter le déploiement d’essais cliniques en ambulatoire, notamment via le recours à la télémédecine. Le texte, qui comporte 23 articles, encadre également l’hébergement et la gestion des données du SNDS auprès d’opérateurs “relevant exclusivement de la juridiction de l’Union européenne”. Il prévoit d’intégrer dans les finalités du “Health Data Hub” l’évaluation de l’efficacité en vie réelle des traitements (art. 20). À l’échelle européenne Au niveau européen, l’Allemagne a adopté dès 2019 une loi sur les soins de santé numériques, ce qui a créé une voie de réglementation et de remboursement “accélérée” pour les applications sur le marché allemand. Quant à l’Agence européenne du médicament (EMA), elle a lancé le 9 février 2022 le centre de coordination de sa plateforme européenne d’analyse de données de vie réelle Darwin (Data Analysis and Real World Interrogation Network). Aux États-Unis Outre-Atlantique, la Food and Drug Administration (FDA) définit les données de vie réelle (ou RWD pour real-world data) comme “des données relatives à l’état du patient et/ou la prestation de soins délivrée en routine issues de diverses sources” et les preuves en vie réelle (RWE pour real-world evidence) comme les “données relatives à l’état de santé du patient et/ou les données collectées en routine à partir de multiples sources et les preuves cliniques obtenues en vie réelle comme la “preuve clinique concernant l’utilisation, les avantages ou les risques potentiels d’un produit médical dérivés de l’analyse des données de vie réelle”]. De récents travaux américains publiés dans le Lancet Digital Health le 1er mars 2022, relatent la légitimité des données de vie réelle pour faire progresser les applications de santé numérique, les qualifiant de “priorité pour l’innovation” en tant que “données probantes générées dans le monde réel”. Les chiffres clés La société américaine IQVIA estime le marché des données de vie réelle à 4 Mds $, d’après son livre blanc décrivant “l’impérative capture de valeur à grande échelle”. À la différence du site marketandmarket qui l’évalue à 2,3 Mds $ d’ici 2026, “contre 1,2 Md $ en 2021”. Les entreprises des sciences de la vie extraient de plus en plus d’informations issues des données du monde réel afin d’améliorer les études de recherche et les essais cliniques, concevoir de nouveaux traitements et accélérer le développement de médicaments. Mais il est rare que ces entreprises aient accès aux larges pans de données nécessaires à la découverte, la recherche et la preuve de valeur, à moins de disposer du partenaire adéquat. C’est pourquoi 80 % d’entre elles déclarent avoir l’intention de conclure des partenariats avec des entreprises de data science au cours de l’année à venir. Les technologies en présence Le suivi des essais est réalisé par des logiciels de gestion des études comme les CTMS (clinical trial management system), les eCOA (electronic clinical outcome assessment, qui permettent de suivre l’avancement d’une étude pendant toutes ses phases pratiquement en temps réel : recrutement et inclusion des patients, suivi des sites investigateurs et des professionnels de santé impliqués, suivi des protocoles, gestion administrative et réglementaire, coûts, délais). Les solutions de télésuivi, téléconsultations mais aussi le développement de biomarqueurs numériques permettent le suivi à distance des patients, à leur domicile, en vie réelle. Le e-consentement est désormais possible pour recueillir le consentement électronique des patients inclus dans les études. Le point de vue de KOL Le 13 juillet 2021 naissait l’Alliance française des données en vie réelle, notamment selon Gérard Raymond, dans l’optique de favoriser les collaborations entre les industriels et le HDH. Il rappelle que plus de vingt molécules déjà approuvées par la FDA ont été testées en ayant recours à des bras de contrôle synthétiques; et prend l’exemple des maladies rares pour lesquelles les patients ne sont pas assez nombreux pour mener des essais cliniques traditionnels. L’EMA (agence européenne du médicament) a lancé en ce sens sa plateforme “DARWIN” pour réunir les données de vie réelle. La HAS a elle publié plusieurs rapports illustrant l’intérêt de recourir davantage à ces données. Stéphanie Combes abonde :“les données de vie réelle sont un véritable enjeu au niveau national et européen”. Au-delà de l’espace européen des données de santé, nombreux sont les appels à projets de la Commission européenne qui portent en 2022 sur ce sujet.“Tous les acteurs du produit de santé pourraient être intéressés de mieux comprendre comment utiliser les données de vie réelle dans le cadre des approches d’évaluation des produits”, souligne la directrice du HDH. D’après Jean-Marc Aubert, P-DG d’IQVIA France, la demande est en “forte croissance dans le monde entier. Leur utilisation aux Etats-Unis est exponentielle”. Il rappelle que jusqu’à présent, la recherche clinique s’est massivement faite sans elles mais que demain, elles seront nécessaires pour deux raisons :” trouver les bons patients et compléter les données recueillies en recherche clinique. Il y a 5 ans aux USA, nous ne les utilisions dans aucune de nos études. Actuellement elles sont utilisées dans plusieurs dizaines d’études cliniques portant sur des médicaments dans différents aires thérapeutiques”. Les applications S’appuyer sur des données de vie réelle pour développer des preuves en vie réelle, n’est pas nouveau. Entre 2015 et 2018 Sanofi a mené un essai dans le “monde réel”. Plus récemment, Owkin a annoncé le 12 octobre lancer OPTIMA Oncology, nouveau programme de recherche public-privé afin d’améliorer le traitement des cancers de la prostate, du sein et du poumon via des solutions basées sur l’IA. L’objectif est de concevoir et développer la première plateforme européenne de données en vie réelle conforme au RGPD pour améliorer la prise en charge de ces trois cancers. Ce projet réunit 36 partenaires issus de 13 pays. Faire collaborer les industriels et le HDH Stéphane Messika rappelle que ces données particulières sont “longitudinales, issues du suivi des patients, tout le long de leur parcours de soin, en ville ou à l’hôpital. Real-world evidence signifie qu’une fois les traitements mis sur le marché, leur efficacité est observée en vie réelle donc on peut suivre les errances diagnostiques, l’observance lors de maladies chroniques.” À l’origine de la création de l’Alliance française des données de vie réelle, il estime qu’elle permettra de faire émerger des cas d’usages de laboratoire ou start-up. Il assure que l’enjeu consiste à chaîner le plus de bases de données possibles pour faire des analyses croisées et anonymes : “celles du SAMU, des hôpitaux et de SOS Médecins avec celles de la Sécurité sociale, ce serait très intéressant pour le suivi longitudinal”. Comparateurs externes Un comparateur externe est une cohorte de patients dérivée de données en vie réelle où les critères d’inclusion et d’exclusion sont similaires à ceux de l’essai clinique auquel le bras synthétique est comparé. Cette méthode peut être utilisée tout au long du cycle de développement du médicament : en amont de l’AMM pour optimiser l’essai clinique, lors de la soumission aux payeurs, après l’AMM pour valider les endpoints ou affiner des comparaisons versus les standards of care. D’après l’AFCROs Les industriels privilégient depuis 5 ans ce type d’études. Les essais virtuels, un nouveau type d’étude La collecte des données de vie réelle à distance a été boostée par la crise sanitaire. Pour Robert Chu, P-DG d’Embleema, la caractérisation du patient synthétique basée sur ses données de vie réelle est “simplement une représentation numérique”. Réaliser des essais virtuels à partir de ces données “évite la chute du taux d’adhésion dans les essais, va cent fois plus vite et coûte cent fois moins cher”. Il est l’un des premiers à s’être lancé sur le marché de ces données combinées à la blockchain. Parallèlement, les essais cliniques décentralisés s’imposent de plus en plus naturellement en recherche. Les essais cliniques décentralisés Les études en vie réelle font l’objet de plus en plus de demandes dans les autorisations de mise sur le marché post-AMM délivrées par les autorités réglementaires, notamment par les industriels qui s’appuient sur le SNDS pour une analyse médico-économique. La FDA note que ce type d’essais “peut aider à déplacer la collecte prospective de données de vie réelle -y compris la randomisation- en dehors des limites physiques des sites investigateurs traditionnels, en exploitant les dossiers médicaux électroniques et des dispositifs numériques supplémentaires comme les objets connectés”, selon un discours de janvier 2019 de Scott Gottlieb, alors commissaire de l’agence. Ces montres ou bracelets par exemple collectent ces données auprès des patients. La société Medidata est spécialisée dans le développement de solutions visant à décentraliser les essais. Une meilleure évaluation des produits et des parcours de soins Pour Jean-Marc Aubert, “la capacité de collecter de plus en plus de données en vie réelle” permet de “mieux évaluer des produits, des processus de soins ou des parcours patients” car “il est aujourd’hui aussi important de savoir quels produits existent que la manière dont ils sont prescrits par les médecins et utilisés par les patients.” Il affirme que leur utilisation est “plus efficace que les études ad hoc”, qu’on les utilise “de plus en plus pour apporter des éléments de preuves aux autorités (HAS, ANSM), et qu’elles permettent de raccourcir le diagnostic de maladies rares”. La cellule sur les données de vie réelle dont s’est dotée la HAS va dans ce sens en permettant “d’optimiser la coordination des pratiques, à tous les stades de développement du produit”, les services bénéficieront ainsi d’un appui méthodologique pour organiser le suivi en conditions réelles d’utilisation”. Créer des entrepôts de données Unicancer et le HDH ont récemment lancé le programme UNIBASE pour accélérer la recherche à partir des données de vie réelle en cancérologie. L’appel à manifestation d’intérêt du même nom s’ouvre à d’autres acteurs, visant à créer en 3 ans une collection de bases de référence. Clinityx et la Société française de cardiologie ont eux récemment créé le premier entrepôt de données extrahospitalier incluant des registres de vie réelle. Incontournable CNEDiMTS La CNEDiMTS est en première ligne pour la prise en compte des données de vie réelle. Elle a notamment demandé une étude observationnelle en vie réelle complémentaire à l’étude clinique de départ pour le dispositif DBLG1 de Diabeloop. Corine Collignon, cheffe de la mission numérique en santé à HAS, a souligné la montée de ces données dans les dossiers déposés auprès de l’instance. Elles sont un “véritable catalyseur pour l’accès rapide des patients aux nouvelles technologies”, dont l’évaluation apparaît désormais plutôt comme un continuum car elles s’implémentent au fil de l’eau”. En pratique, quelles données la CNEDiMTS prend-elle en compte ? La HAS a réalisé un bilan entre mars et juin 2021 : sur les 88 dossiers examinés 47 avaient des données spécifiques ; 66 % d’entre eux comportaient des données de vie réelle (dont 26 % exclusivement et 40 % des données de vie réelle et des données expérimentales). “Un bilan très brut et très macro”, commente Corine Collignon qui estime l’instance “déjà dans l’action. Les industriels l’ont bien compris et 35 % de leurs dossiers comportent des données de vie réelle.” Ces données n’échappent pas pour autant au standard de qualité, la clé qui permet de les exploiter”. Le nouvel enjeu pour les industriels consiste à “savoir si les bases de données permettent l’accès à des données qui seront utiles pour l’évaluation de leur technologie ou s’ils devront mettre en œuvre un recueil de données ad hoc. Cela doit être anticipé.” Les acteurs à suivre Institutionnels : Cnil, Health Data Hub, Agence du numérique en santé, Cnam, Drees, Healthcare Data Institute, Alliance française des données de vie réelle Start-up : Owkin, Implicity, Kap Code, Quinten Health Sociétés prestataires spécialisées en données de vie réelle : IQVIA, Clinityx, Medidata, Cleyrop Organisations professionnelles et pôles de compétitivité : Medicen, AFCROs Établissements de soins : Unicancer, AP-HP, Ouest Data Hub (HUGO, Hôpitaux Grand Ouest) Industriels : Roche, Sanofi Aux USA : Aetion, Replica Analytics (acquise par Aetion), Medable, BEPATIENT, Betterise Health, Verana Health Les personnes à connaître Stéphane Messika Damien Gromier Frédéric Bousquet Mathilde Gaini Claire Daviron François Emery Cotté Stéphanie Korsia Jean-Marc Aubert Damien LESTELLE, Cathy Maillard Robert CHU Christian Deleuze Dans l’actualité Matthieu Lamy (Ad Scientiam) : “Les biomarqueurs digitaux révolutionnent la recherche clinique et la prise en charge des patients” Jean-Marc Aubert (IQVIA) : “Si on n’investit pas dans la donnée, tout un pan de la santé ne se développera pas en France” Robert Chu (Embleema) : “Un essai clinique totalement virtuel est cent fois plus rapide qu’une étude classique” Stéphane Messika (Kynapse): “Cette alliance permettra de faire émerger des cas d’usages de laboratoire ou start-up” La HAS se dote d’une cellule sur les données de vie réelle Bientôt un réseau européen pour promouvoir les données de vie réelle Pour aller plus loin Les acteurs à suivre ExactCure SAS Accès à la fiche entreprise Siemens Healthineers NA Accès à la fiche entreprise Iktos SAS Accès à la fiche entreprise Implicity SAS Accès à la fiche entreprise Synapse Medicine SAS Accès à la fiche entreprise Sivan Innovation SASU Accès à la fiche entreprise BioSerenity SAS Accès à la fiche entreprise Embleema Start-up Accès à la fiche entreprise Health Data Hub Organisme public Accès à la fiche entreprise Medidata Start-up Accès à la fiche entreprise IQVIA SAS Accès à la fiche entreprise AP-HP Etablissement de santé Accès à la fiche entreprise Owkin SAS Accès à la fiche entreprise Diabeloop SA Accès à la fiche entreprise Medicen Association Accès à la fiche entreprise SKEZI SAS Accès à la fiche entreprise Les personnes à suivre Robert Chu Cofondateur et CEO Accès à la fiche entière Lise Alter Directrice générale Accès à la fiche entière Twitter LinkedIn Email