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Accueil > Médias & Audiovisuel > Les médias en ligne grand public indépendants peinent à se développer

Les médias en ligne grand public indépendants peinent à se développer

15 ans après l'apparition sur le numérique des premiers sites d'informations non adossés à des grands groupes, Mediapart fait figure d'exception au sein d’un secteur sous financé où se côtoient beaucoup de petites structures fragiles. Au point de devoir s’appuyer pour une partie d'entre eux sur des aides à la presse et les dons. Nous avons interrogé Mediapart, Médiacités, Arrêt sur Images, Briefme, Streetpress et Les Jours pour dresser un état des lieux du secteur et de leurs activités. Leur discours est unanime : les tensions économiques sont fortes et ils s'estiment toujours victimes d'une distorsion de concurrence vis-à-vis des groupes de presse.

Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 26 janvier 2024 à 14h44 - Mis à jour le 29 janvier 2024 à 14h25
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Mediapart, l’arbre qui cache la forêt dans la presse en ligne indépendante généraliste ? Le site cofondé par Edwy Plenel en 2008 dépasse ces dernières années les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel et est très rentable. Avec 20,8 millions d’euros de bénéfices cumulés entre 2012 et 2022, dont la moitié sur les trois derniers exercices publiés (2020-2022), ses résultats ont de quoi faire envie à de nombreux médias de la “vieille presse”.

Mais derrière Mediapart, peu de réussites sont visibles. Une première génération de pure players créés avant 2010, à portée locale ou nationale, sur un modèle gratuit ou payant, ont périclité : Owni, Rue89, Dijonscope, Télescope d’Amiens, Carré d’info… la poignée qui ont survécu – Mediapart, Arrêt sur Images, Slate.fr – ont été rejoints par une nouvelle vague de projets, essentiellement entre 2010 et 2016 : Streetpress, Médiacités, Briefme, Les Jours, Arrêt sur Images ou Marsactu, et plus récemment des sites comme Le Poulpe, Disclose ou Blast.

Le secteur est foisonnant : le Spiil, le syndicat des médias en ligne indépendants, revendique aujourd’hui 270 éditeurs adhérents – dont Frontline Media, société éditrice de mind Media. Certains sont tournés vers les professionnels, avec une économie très particulière (Contexte, Indigo Publications, Satellifacts…), mais l’essentiel d’entre eux sont grand public : beaucoup de ceux-là connaissent des difficultés dans leur développement, malgré des positionnements très identifiés des offres éditoriales originales, parfois huit à douze ans après leur création.

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Des économies très fragiles

L’ensemble des structures éprouvent des difficultés à trouver des modèles pérennes, à dégager des bénéfices et à réinvestir. Même quand l’activité est en croissance. C’est le cas de Briefme. Le groupe fondé en 2015, composé de 15 personnes et dirigé par Laurent Mauriac et Edmond Espanel, propose des synthèses et le décryptage des principales informations sous forme de newsletters quotidiennes. La société voit ses abonnés à son offre principale, généraliste, baptisée Briefme (69 euros par an), plafonner autour de 12 000 abonnés depuis 2021 (12 300 fin 2023). “L’année 2023 a été difficile pour le secteur”, confirme Laurent Mauriac, cofondateur et PDG de Briefme, et par ailleurs co-président du Spiil. L’inflation a un impact et notre secteur souffre de la concurrence biaisée par les aides à la presse versée à la presse papier.”

Ses éditions spécialisées, Briefme Eco et Briefme Sciences (49 euros par an chacune), ont certes progressé respectivement de 33 % et 14 %, mais leurs souscripteurs demeurent faibles, respectivement de 3 200 et 2 900. La société propose aussi ses trois offres en bundle. Son chiffre d’affaires 2023 a comme les années précédentes été en progression de l’ordre de 20 %, à 1,2 million d’euros. “Un bon résultat vu la conjoncture”, estime Laurent Mauriac, mais après 60 000 euros de bénéfices en 2020 puis en 2021, puis 117 000 euros en 2022, la société devrait afficher de légères pertes en 2023, “en raison d’une politique d’investissement”.

Fondé en 2016 par Jacques Trentesaux et positionné comme un site d’investigation indépendant dans les grandes agglomérations (Lille, Lyon, Nantes, Toulouse), Mediacités (69 euros par an) a encore davantage de mal à se développer. Le site, qui s’appuie sur un modèle payant, a certes gagné quelques centaines d’abonnés l’an passé, en passant de 4 900 fin 2022 à environ 5 500 fin 2023 (+ 12 %), mais il lui en faudrait 8 000 pour atteindre l’équilibre. La société de 11 salariés (9 ETP) nous indique avoir réalisé en 2023 un chiffre d’affaires comparable à celui de 2022, qui s’était situé à 463 000 euros. Elle a dû lancer un appel aux nouveaux souscripteurs en fin d’année.

La société s’est également résignée à augmenter, depuis octobre, les tarifs de ses abonnements, passés de 60 à 69 euros pour une souscription annuelle, et de 7 à 7,90 euros pour une souscription mensuelle. “Cela vaut uniquement pour les nouveaux abonnés et nous n’avons pas constaté de réactions négatives de nos lecteurs. Nous allons surtout tenter de développer les diversifications”, affirme Jacques Trentesaux.

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Les modèles publicitaires et payants ont tous deux des difficultés

De son côté, Les Jours, fondé en 2015 par des journalistes issus essentiellement de Libération (Isabelle Roberts, Raphaël Garrigos, Olivier Bertrand, Sophian Fanen, Alice Géraud…) et Augustin Naepels, a vu ses revenus “légèrement diminuer” en 2023. Le site a adopté un modèle payant (74 euros par an) et une ligne éditoriale atypique, consistant à sélectionner et à suivre dans la durée des thèmes d’actualité ou les activités de personnalités. La société de 11 salariés est contrôlée à 69 % par ses fondateurs, le solde étant dans les mains d’investisseurs. Son chiffre d’affaires en 2022 s’élevait à environ 1 million d’euros.

Signe des tensions sur le secteur des médias indépendants généralistes, il a été légèrement en retrait en 2023. “On devrait être proche de l’équilibre, affirme son directeur général Augustin Naepels. Le secteur des médias indépendants souffre, comme la très grande majorité des groupes médias, mais sans leurs facilités : sans actionnaires pour renflouer les comptes en fin d’année, et avec des aides à la presse qui, même si elles commencent timidement à prendre en compte les médias numériques, ont été très inéquitables pendant des années”. Les Jours n’arrive pas à s’extirper de la zone des 9 500 abonnés ces trois dernières années et le chiffre a plutôt tendance à baisser. Il lui en manque 2 000 à court terme pour relancer une dynamique et retrouver des marges financières.

Streetpress, sur un modèle gratuit et des revenus plus diversifiés, est dans une situation comparable. Fondée en 2010 par Johan Weisz, son président, et Patrick Weil, historien – Cécilia Gabizon a quitté l’actionnariat -, la société a généré seulement 800 000 euros de revenus en 2023. C’est deux fois plus qu’en 2015, mais son chiffre d’affaires progresse peu et la structure a souffert de légères pertes. Son offre éditoriale, gratuite, a évolué ces dernières années vers le média d’enquête et d’impact politique et sociétal. La structure rassemble 17 salariés (15 journalistes), auxquels s’ajoutent des pigistes (journalistes, graphistes, illustrateurs, vidéastes). Son chiffre d’affaires se compose à proportions égales de revenus commerciaux (production de contenus en marque blanche, brand content, publicité), de dons, de subventions et de mécénat.

Le site Arrêt sur Images, positionné sur la critique des médias et payant (40 euros par an), a lui aussi du mal à franchir une nouvelle étape. Fondé en 2008 par Daniel Schneidermann – il a, en 2021, partagé le capital de la société aux salariés et cédé la direction du site, attribuée lors d’un vote de l’équipe -, la société voit ses revenus stagner autour d’un million d’euros ces quatre dernières années après avoir atteint un pic à 1,3 million en 2016. A l’équilibre ou presque jusque-là, la société de 11 salariés (8 journalistes) a affiché près de 100 000 euros de pertes en 2023. Le volume de ses abonnés plafonne autour de 20 000, “avec environ 4 millions de visiteurs uniques sur l’ensemble de l’année, soit à peu près 300 à 350 000 par mois”, selon son directeur général et rédacteur en chef, Paul Aveline.

Enfin au niveau local, Marsactu, site d’enquêtes dans la région marseillaise créé en 2010 sur un modèle gratuit, puis relancé en 2015 par ses journalistes sur un modèle payant (49 euros par an) après sa liquidation judiciaire, a vu passer ses revenus de 135 000 euros en 2018 à 356 000 en 2021, son dernier exercice publié. Son résultat net a suivi une trajectoire similaire, passant de – 85 000 euros à 15 000 euros.

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Mediapart surnage

Parmi les médias en ligne indépendants positionnés sur l’information générale, seul Mediapart dispose de résultats très confortables en ayant instauré très tôt un modèle payant (120 euros par an). La société pouvait donner le sentiment d’avoir atteint un plafond en 2022 après une lente érosion de son volume d’abonnés : après 222 000 abonnés en mai 2020, au plus fort de la crise sanitaire qui avait dopé les souscriptions de tous les médias, le site avait fini l’année 2020 à 218 000 abonnés, avant de baisser à 213 000 fin 2021, puis 210 500 fin 2022. Soit une diminution de 3,5 % entre fin 2020 et fin 2022. Interrogée à ce propos en mars 2023, la direction de la société ne se disait pas inquiète.

Qu’en est-il en 2023 ? La société d’environ 135 salariés – près de la moitié sont des journalistes – a réalisé des résultats jugés “bons” au sein de sa direction. Rappelons qu’elle avait affiché, en 2022, 21,2 millions d’euros de chiffre d’affaires et 2,6 millions d’euros de résultat net, pour une rentabilité de 12 %.

Selon nos informations, le site a bénéficié en 2023 d’une hausse de 4,5 % de ses abonnés, passés de 210 500 à environ 220 000, dont 219 000 individuels, le solde en BtoB. Cette progression est jugée très satisfaisante en interne, eu égard au contexte d’inflation et aux difficultés actuelles rencontrées par de nombreux médias dans l’abonnement en ligne. Mediapart est toujours le troisième site français en nombre d’abonnés en ligne derrière Le Monde (527 000 fin 2023) et Le Figaro (270 000 à l’automne).

“Mediapart n’a pas atteint un plafond de verre. Nous avons fait une très bonne année 2023 et il y a un intérêt du public pour l’information de qualité et les révélations”, souligne Edwy Plenel, président de Mediapart, qui cédera ses fonctions dans le courant de l’année, sans doute en mars ou peu après. “La presse en ligne indépendante est dynamique, avec des projets ambitieux comme MarsActu, Médiacités, Rue89 Lyon et Rue89 Strasbourg, ou Le Poulpe. La juger uniquement sur ses résultats économiques est trompeur car la comparaison avec les grands groupes est faussée par les millions d’euros d’aides à la presse qu’ils reçoivent chaque année. Tous les nouveaux médias en ligne ont une place à prendre vu l’état de la presse”, affirme-t-il.

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Un sous financement chronique

L’ensemble des acteurs sollicités s’accordent à reconnaître néanmoins un manque de financement récurrent pour appuyer leurs projets. Mediapart avait amorcé son projet avec 3,7 millions d’euros de financements, via les apports des fondateurs, de deux fonds d’investissements partenaires et d’investisseurs individuels. Les projets lancés depuis 2015 n’ont souvent pas voulu ou pas pu bénéficier de la même surface.

Arrêts sur Images avait écarté à son lancement tout recours à des fonds d’investissement ou des grands investisseurs. Streetpress s’est lancé sans financement consistant. Briefme a été accompagné par des investisseurs individuels à son lancement mais il a attendu pour s’appuyer, en 2019 et en 2020, sur deux levées de fonds auprès d’investisseurs individuels, pour un total de 300 000 euros et sur une valorisation de la société à 1,9 million d’euros. Médiacités a pu compter sur plus de 879 000 euros levés en trois fois entre 2018 et 2021, auprès de Mediapart, d’Indigo Publications et de plusieurs dizaines d’investisseurs. Les fondateurs détiennent encore 46 % du capital. Après plusieurs financements, Les Jours a obtenu un total d’1 million d’euros (fondateurs, investisseurs privés, crowdfunding, emprunt IFCIC).

Ces montants sont insuffisants – même pour les Jours – tant l’information en ligne nécessite des investissements importants et permanents. Or l’accès au financement privé (fonds, investisseurs, mécènes, crédits bancaires) est plus difficile ces dernières années. La presse en ligne indépendante a aujourd’hui les défauts de ses qualités : sa difficulté à mobiliser des fonds très importants.

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Le recours important aux aides à la presse depuis 2022

Outre des positions de principe, c’est ce qui explique aussi le lobbying accru d’une partie du secteur ces dernières années pour ouvrir les aides publiques. Depuis 2022, les aides à la presse sont ouvertes aux médias en ligne avec la création d’une enveloppe dédiée de 4 millions d’euros par an, “pour compléter les mécanismes traditionnels d’aide aux titres imprimés”, selon le ministère.

Des “aides au pluralisme des services de presse tout en ligne” sont ainsi versées depuis 2022. Les chiffres pour 2023 n’ont pas encore été publiés mais ceux de 2022 sont disponibles : des aides ont été versées à 52 médias au titre des années 2021 (de façon rétroactive) et 2022. Soit un montant total de 8 millions d’euros d’aides versées en 2022. Ces aides s’ajoutent aux aides du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) dont peuvent bénéficier là aussi certains médias en ligne.

La plupart des principaux sites de presse en ligne indépendants, destinés au grand public ou aux professionnels, ont demandé et obtenu ces aides, mais dans des proportions différentes. Seuls Mediapart et Arrêt sur Images refusent jusqu’à présent la moindre aide publique. Cela pourrait changer pour ce dernier : selon nos informations, face à la question des moyens qui se posent pour investir et se développer, une réflexion a été entamée au sein d’Arrêt sur Images pour éventuellement candidater aux aides à la presse en 2024. Il faudrait alors pouvoir le justifier auprès de sa communauté de lecteurs, par exemple par le lancement de nouveaux projets.

Les subventions publiques peuvent représenter une proportion très significative des revenus de certains acteurs. C’est le cas de Libération, La Croix et L’Humanité pour la presse traditionnelle. C’est désormais le cas également de certains médias indépendants. Sur 463 000 euros de chiffre d'affaires en 2022, Médiacités a pu bénéficier d'une aide à la presse de 107 000 euros. Le groupe Briefme a reçu 330 000 euros sur un chiffre d'affaires d'1 million d'euros, et Streetpress 135 000 euros sur des revenus d'environ 800 000 euros. Les Jours a perçu 255 000 euros sur un chiffre d'affaires d'environ 1 million d'euros, tandis que Slate à reçu 366 000 euros. Ses revenus ne sont pas connus mais le site, qui adopte un modèle gratuit basé sur la publicité, éprouve des difficultés ces dernières années. Enfin Marsactu a reçu 94 000 euros d'aides en 2022. Ses revenus sur cet exercice-là ne sont pas connus non plus, mais ils étaient de 356 000 euros sur l’exercice précédent en 2021. A noter également les 800 000 euros d'aides publiques perçues par Blast, la web TV de Denis Robert lancée seulement en 2021.

Quels groupes ont bénéficié des aides à la presse en 2022 ?

Sur quels critères sont déterminés les montants versés pour les aides au pluralisme des services de presse tout en ligne ?

La question est sensible et, comme pour d’autres types d’aides, des acteurs nous signalent des règles opaques et difficiles à comprendre.

Le ministère de la Culture indique que "cette subvention est basée sur le montant des dépenses éditoriales du média pour permettre aux entreprises de presse de proposer une information fiable et de qualité en ligne répondant aux nouveaux modèles numériques. Afin d'encourager les titres qui suscitent un engagement financier de leurs lecteurs et cherchent à répondre au souci d'indépendance de la presse, une bonification est accordée selon le nombre d'abonnés payants. Enfin, un complément financier est attribué aux entreprises créées il y a moins de trois années éditant un service de presse en ligne créé il y a moins de trois ans".

Ces subventions - qui pour certains acteurs font suite à des subventions privées, par exemples celles du fonds Google pour le développement de l’information numérique durant les années précédentes - ont certes été versées en 2022 pour deux ans (2021 et 2022), mais même en tenant compte de ce rattrapage, leurs montants sont souvent très importants eu égard aux chiffres d'affaires de petites structures. "Nous ne sommes pas hostiles par principe aux aides à la presse ; elles peuvent se justifier par l'appui aux entreprises, par les externalités positives que créent les médias et par leur rôle dans la société. En revanche, on ne peut pas accepter un mécanisme d'aides aussi opaque et aussi complexe, qui est essentiellement dirigé vers le papier et les grands groupes alors que l'avenir du journalisme est dans le numérique. Il y a une distorsion de concurrence énorme", fustige Laurent Mauriac (Spiil et Briefme).

"Nous préférerions faire sans. Nous restons hostiles aux aides telles qu'elles sont pensées aujourd'hui, mais il y a une inégalité fondamentale avec les médias traditionnels qui s'apparente à une concurrence déloyale et nous faisons avec", abonde Augustin Naepels, le directeur général des Jours et également vice-président du Spiil.

Le risque de la dépendance aux subventions est réel pour la presse en ligne indépendante, a fortiori quand leur proportion dans un budget annuel devient importante. "Leur caractère incertain et imprévisible n'est pas très sain. Il faut raisonner budgétairement sans les aides à la presse", estime d’ailleurs Augustin Naepels. Les éditeurs indépendants ne sont pas à l'abri d'une baisse des subventions d'une année sur l'autre, car le montant accordé est parfois difficile à comprendre et aléatoire. Et encore plus à anticiper. C'est ce qui est arrivé à Briefme en 2023.

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Les dons devraient gagner en importance

Pour pallier des revenus souvent insuffisants, les dons sont entrevus comme un levier de plus en plus significatif pour une partie des médias indépendants. Cela nécessite un lien fort avec son audience et des communautés engagées. De nombreuses campagnes ont lieu en fin d'année, moment le plus propice. Même si l'abonnement reste la priorité, le don peut devenir un enjeu tout au long de l'année et compléter le modèle. C'est le choix que fait Streetpress et qu'il veut accentuer. Le pure player a récolté en fin d'année plus de 185 000 euros de dons en un peu moins de deux mois, avec environ 250 000 euros récoltés au total en 2023 - sur 800 000 euros de chiffre d'affaires. "Les dons ponctuels sont les plus fréquents, autour de 40 euros en moyenne, loin devant les dons mensuels récurrents, au nombre de 500 environ avec une moyenne autour de 90 euros par an", indique Johan Weisz, président et cofondateur de la société.

Pour Médiacités, les revenus issus de ce levier restent modestes (12 000 à 15 000 euros) mais la société tente elle aussi désormais de les développer pour des actualités bien précises : contribuer aux frais de justice quand un procès lui est intenté, ou financer un projet éditorial. Arrêt sur Images a récolté ces dernières années entre 70 000 et 112 000 euros lors de sa campagne de fin d'année et Les Jours a mobilisé également son lectorat à cette période.

Une prime à certains médias engagés et militants ?

Si les médias généralistes ou assimilés éprouvent des difficultés de développement, ce n'est pas le cas de certains sites. Notamment les sites positionnés sur l'engagement écologique.

Reporterre, dirigé par Hervé Kempf, positionné sur l'écologie politique et relancé en ligne en 2007, connaît une nouvelle vigueur ces dernières années. Le site est édité par une association (PILE) et rassemblait en juin 2023 16 journalistes et 6 fonctions support (administration, communication web marketing et de plateforme). Le site pouvait s'appuyer en 2022 sur un budget de 2 millions d'euros (90 % via des dons) contre 1,6 million d'euros en 2021 (+ 25 %), avec 220 000 euros d'excédents.

De son côté, Vert le média, fondé par Juliette Quef et Loup Espargilière en 2020, a généré 234 000 euros de revenus en 2022, dont 70 % récoltés via des dons, 15 % via des subventions publiques, 9 % via des formations, 1,5 % des abonnements et 5 % des aides à l'embauche. La société employait, en juin 2023, 12 collaborateurs réguliers, dont 3 salariés en CDI.

Diversifications, mutualisations et réformes systémiques

Le développement plus volontaire de nouvelles activités médias - des diversifications - est l'une des pistes les plus souvent citées par les acteurs interrogés pour compléter leurs revenus. Elles représentaient 60 000 euros des 800 000 euros de revenus de Médiacités en 2023, via l'animation de réseaux sociaux pour France Télévisions, la revente d'articles, les abonnements BtoB et la collaboration autour de contenus audiovisuels avec des sociétés spécialisées. C'est l'un des leviers entrevus par sa direction en 2024 et 2025, en misant aussi sur les conférences et l'éducation aux médias. Un premier projet en ce sens, réalisé l'an passé avec Hikari pour un documentaire TV autour du Parc du Puy-du-Fou, a été jugé concluant. "Nous devons réfléchir différemment, en diversifiant mais aussi en mutualisant : on ne peut pas passer notre temps à faire des activités commerciales, marketing et techniques, qui sont essentielles aux médias en ligne mais qui ne devraient pas nous mobiliser autant", estime Jacques Trentesaux.

Le président de Médiacités souscrit à l'idée d'une mutualisation des activités annexes au journalisme en ligne entre les éditeurs de presse en ligne indépendants, en particulier les infrastructures techniques. Dans le même registre, Briefme assure également depuis l'été 2023 la commercialisation en BtoB des abonnements des médias indépendants qui le souhaitent.

L'abonnement BtoB est aussi un axe de développement pour Mediapart. Les cibles identifiées sont souvent les mêmes : bibliothèques, médiathèques, universités et lycées. En 2024, la société va par ailleurs accentuer ses efforts éditoriaux vers des enquêtes sur l’extrême droite, déjà amorcés en 2023, et celles en rapport avec l’écologie. La société veut aussi élargir son audience vers des publics plus jeunes et plus populaires. "Pour cela, nous voulons rendre nos articles plus clairs et plus accessibles, en améliorant leur fluidité et leur narration et en ajoutant de nouveaux formats, par exemple des encadrés et des résumés. Cela passera notamment par le renforcement de notre pôle d'édition dirigé par Stéphane Alliès", explique Carine Fouteau. La journaliste de Mediapart, membre du comité de direction, a été co-directrice éditoriale de la rédaction (2018-2023).

La société travaille toujours sur un nouveau CMS et publiera un bilan de ses émissions carbone au cours du premier semestre. A partir de l'exercice 2023 et lors des suivants, Mediapart fera aussi remonter des réserves à la Société pour la protection de l’indépendance de Mediapart (SPIM), société non lucrative qui détient Mediapart depuis 2019 ."Mediapart peut jouer un rôle moteur dans l'écosystème et nous le faisons déjà en soutenant certains sites (Médiacités, Le Poulpe, Rue89 Strasbourg et Lyon, ndlr). La création du FPL pour récolter et redistribuer des dons va en ce sens. Je reste optimiste dans l'avenir et les choix effectués : l'information de qualité, la hiérarchisation et l'exclusivité plutôt que le flux. Il y a de la place pour d'autres acteurs sur ce terrain", estime Carine Fouteau.

Le sentiment est-il totalement partagé ? "Il faut être réaliste, le marché de l'abonnement généraliste est devenu très concurrentiel et le lectorat payant n'est pas extensible à l'infini. Il y a à la fois une fatigue informationnelle et une concurrence faussée par les grands médias avec des prix tirés à la baisse par leurs accords commerciaux passés avec Google pour la fonctionnalité Subscribe with Google. Le secteur a aussi besoin de règles plus claires et plus saines", observe Augustin Naepels (Les Jours).

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Des réformes en profondeur sont largement réclamées. "ll y a une inaction totale des pouvoirs publics depuis des années. Malgré la crise de l'information et la crise démocratique, aucune réforme sérieuse de notre secteur n'a été engagée depuis la baisse de la TVA pour la presse en ligne après notre combat que l'on connaît, et c'était sous le mandat de Nicolas Sarkozy (2007-2012)", pointe aussi Edwy Plenel (Mediapart).

Certaines des revendications des médias indépendants sont portées par le Spiil. Sur les aides à la presse, évidemment, avec le souhait d'une plus grande transparence et d'un fléchage vers les médias numériques émergents. "Il faut des aides plus simples, plus transparentes et plus compréhensible par le public pour redonner confiance dans les médias, par exemple grâce à un crédit d’impôt pour les dépenses rédactionnelles et l’emploi de journalistes, et pour l'aide à l'innovation", déclare Laurent Mauriac, co-président du Spiil.

De façon plus opérationnelle, la question de la capacité des sites indépendants à élargir leurs audiences et leurs publics pour pouvoir les convertir plus facilement en abonnés se pose. Certains ont des lignes éditoriales très marquées ou une sélectivité très forte. "C'est un sujet, admet Paul Aveline, pour Arrêt sur Images, mais nous n'allons pas devenir un site généraliste. Nous voulons en revanche améliorer la communication et la relation avec les abonnés, être plus présents sur les réseaux sociaux, et proposer davantage de sujets pédagogiques et de nouveaux formats, comme les podcasts ou la vidéo en direct", indique Paul Aveline.

L'enjeu pour la presse en ligne indépendante est également de gagner en visibilité en ligne et dans la distribution des contenus par les plateformes. "Il faut appliquer aux plateformes le principe de neutralité de la distribution de la presse. Elles ont un rôle central dans la visibilité de la presse en ligne auprès des internautes et le poids des algorithmes est trop important dans l'accès au lecteur", souligne Laurent Mauriac (Spiil).

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Mise à jour du samedi 27 janvier à 11h55 : le financement total des Jours s’élève à 1 million d’euros et non 700 000 euros, montant parcellaire mentionné dans une précédente version. Nous avons également affiné les chiffres d’abonnés de Mediapart en 2023 après des précisions apportées par sa direction.

Jean-Michel De Marchi
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